Entreprise de nettoyage : le transfert obligatoire des salariés en cas de cession de marché

Si le secteur de la propreté en entreprise a été l’un des plus gravement impacté par la crise du Covid-19, cette dernière aura au moins contribué à le mettre en lumière. Zoom sur une branche d’activité aux contours singuliers.

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Le principe de transfert des contrats de travail entre sociétés de nettoyage entrante et sortante sur le même marché

La convention collective nationale des entreprises de propreté et services associés (CCNEPSA) du 26 juillet 2011 offre des garanties particulières aux salariés du nettoyage en cas de changement de prestataire. Cette convention reprend un accord du 29 mars 1990, intégré à l’article 7 (anciennement Annexe 7) par un arrêté du 23 juillet 2012.

Son objet est de garantir aux salariés la continuité de leur travail en cas de cessation du contrat commercial ou du marché public qui lie leur entreprise à un client. Lorsqu’une entreprise de nettoyage obtient un marché qui appartenait précédemment à une autre entreprise du même secteur, l’entreprise entrante est dans l’obligation de reprendre tous les salariés de l’entreprise sortante, opérant ainsi un transfert des contrats de travail (article 7.2 de la CCNEPSA). Toutefois, le marché dévolu à la nouvelle entreprise doit avoir le même objet et porter sur l’entretien des mêmes locaux (Cass. soc. 9 mars 2022, pourvoi n° 20-18.563).

Rappelons également qu’il est tout à fait courant pour les salariés du secteur de cumuler plusieurs contrats avec différentes entreprises de sorte que le transfert conventionnel des contrats leur offre une certaine stabilité d’emploi.

Quelles sont les conditions à respecter par les salariés pour le maintien de leur emploi ?

Tous les salariés de l’entreprise sortante ne sont pas éligibles à une continuation de leur contrat de travail par l’entreprise entrante. L’article 7.2-I de la CCNEPSA pose plusieurs conditions :

  • Le salarié doit avoir passé au moins 30 % de son temps de travail total pour le compte de l’entreprise sortante dans les locaux concernés, et doit pouvoir prouver une affectation sur le marché antérieure d’au moins six mois à la date d’expiration du contrat commercial ou du marché public.
  • Le salarié ne doit pas avoir été absent depuis 4 mois ou plus à la date d’expiration du contrat commercial. Ne sont pas pris en compte les absences dues à un congé maternité, à une activité partielle, ou à la fermeture des locaux. Ce dernier point a pour origine un aménagement réalisé pendant la crise sanitaire (avenant n° 17 du 22 février 2021 relatif à la modification de l’article 7 dans le contexte de la crise sanitaire et économique) à la suite d’un avis de la CPPNI : il s’agit de ne pas comptabiliser les mois pendant lesquels les locaux étaient fermés en raison du confinement.
  • Il doit être titulaire d’un CDI conclu avec l’entreprise sortante, ou d’un CDD conclu pour le remplacement d’un salarié qui satisfait lui-même aux autres conditions, ainsi qu’être en situation régulière au regard de la législation du travail relative aux travailleurs étrangers. Enfin, il ne doit pas avoir été définitivement reconnu inapte au travail (Cass. soc. 11 mars 2009, 07-41.636).

Les salariés qui ne remplissent pas ces conditions restent sous la responsabilité de l’entreprise sortante. (art. 7.3-IV CCNEPSA – Sort du personnel ne bénéficiant pas de la garantie d’emploi).

La charge de la preuve incombe à l’entreprise sortante, qui doit en outre continuer de rémunérer les salariés jusqu’à leur transfert (Cass. soc. 30 nov. 2010, 09-40.386).

Quelles sont les obligations pour l’entreprise sortante et l’entreprise entrante ?

Aux termes de l’article 7 et suivants de la CCNEPSA, des obligations distinctes incombent aux deux entreprises.

L’entreprise entrante doit intégrer les salariés qui respectent les conditions évoquées ci-dessus. L’article 7.2 énumère les éléments qui doivent être conservés lors du transfert du contrat, à savoir le niveau de rémunération (salaire mensuel brut) correspondant au nombre d’heures habituellement effectuées, ainsi que les autres avantages (primes, frais d’entretien, etc.). Le montant global annuel versé par l’entreprise entrante aux salariés transférés doit ainsi rester le même que celui antérieurement perçu, quand bien même les modalités de versement seraient modifiées.

L’entreprise sortante doit de son côté fournir certaines informations afin de permettre le transfert des contrats de travail (art 7.3-I CCNEPSA), à savoir la liste du personnel transféré avec la copie de certaines informations les concernant (bulletins de paie, autorisation de travail pour travailleurs étrangers, etc.) à destination du nouveau prestataire. Cette liste doit ensuite être communiquée au CSE. L’entreprise sortante doit également régler aux salariés transférés les salaires dont elle leur est redevable, ainsi que leur fournir une attestation de congés payés et d’emploi (art 7.3-III CCNEPSA).

L’entreprise entrante ne peut empêcher le transfert qu’en cas de manquement grave de l’ancien prestataire rendant impossible la reprise effective du marché. A donc été censurée la cour d’appel qui se basait sur le refus de fournir des pièces complémentaires, non exigées par l’article 7.3, pour écarter le transfert des contrats de travail (Cass. soc. 30-11-2010 n° 09-40.386 FS-PB).

Précisons que le client n’intervient pas dans le transfert des salariés, si ce n’est pour transmettre les coordonnées entre les deux entreprises.

Quelles sont les exceptions notables au principe du transfert obligatoire ?

Il existe plusieurs cas dans lesquels le transfert des contrats de travail ne s’effectue pas.

  • Si le salarié ne remplit pas les conditions mentionnées à l’article 7.2, l’entreprise sortante reste son employeur. Insérée à l’article 7.3-IV, cette clause protège notamment les salariés ne bénéficiant pas de CDI.
  • Le salarié éligible peut refuser son transfert : ainsi a-t-il été jugé que le changement d’employeur prévu et organisé par voie conventionnelle suppose l’accord exprès du salarié, qui ne peut résulter de la seule poursuite de son contrat de travail sous une autre direction (Cass. soc. 12-9-2018 n° 16-28.407 F-D)
  • Enfin, en cas, non pas de changement de prestataire, mais de déménagement des locaux de l’entreprise cliente dans le même secteur géographique, la garantie d’emploi n’est pas maintenue (art 7.6 CCNEPSA). Toutefois, les employés de l’entreprise respectant les conditions de l’article 7.2 bénéficient d’un priorité d’emploi.

Il est également à noter que la garantie d’emploi ne s’accompagne pas d’un maintien obligatoire dans les mêmes locaux. L’entreprise entrante est en droit d’affecter les salariés sur un autre site. Le changement d’employeur peut en effet avoir été causé par une insatisfaction du client sur la prestation, auquel cas il sera préférable de ne pas placer les salariés dans les mêmes locaux. Cela peut occasionner des difficultés pour les salariés cumulant plusieurs emplois. 

La différence de traitement entre les anciens et les nouveaux salariés 

Le transfert conventionnel des contrats de travail à la société entrante peut poser un problème concernant les primes. L’article 7.2 affirme explicitement que les avantages des salariés transférés doivent être maintenus. L’employeur se retrouve donc face au risque d’un traitement inégalitaire de ses salariés, dans le cas où ceux qu’il employait déjà avant le transfert ne bénéficiaient pas des mêmes primes. Dès lors, les salariés du prestataire entrant peuvent-ils revendiquer le bénéfice des avantages maintenus aux salariés transférés ? 

La jurisprudence de la Cour de cassation est claire sur ce sujet : le principe de l’égalité de traitement à l’égard des accords collectifs conduit à apprécier différemment la portée de ce principe à propos du transfert des contrats de travail organisé par voie conventionnelle (Cass. soc. 30-5-2018 n° 17-12.794 FP-D). De ce fait, dans le cas où seule une partie des salariés bénéficierait de la prime du treizième mois, cette différence de traitement est justifiée quand elle résulte de l’obligation pour le nouvel employeur de maintenir une majoration salariale qui avait été consentie à certains salariés par leur ancien employeur (Cass. soc. 30-11-2017 n° 16-20.532 FS-PBRI ; Cass. soc. 30-5-2018 n° 17-12.829 F-D). 

© Editions Francis Lefebvre – La Quotidienne

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